Recrutement en pharmacie : les remplaçants quittent le banc de touche
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Bousculée par la pandémie, la pharmacie d’officine vit un retour à la “normale” qui n’a rien de paisible. Fortement éprouvés par la crise, les titulaires et leurs équipes se réorganisent. Ils essaient de pallier la pénurie de personnel par divers moyens (voir notre article à ce sujet) et de séduire des recrues pour lesquelles le CDI n’est plus la seule norme et la flexibilité souvent une exigence. Dans ce contexte, le recours au travail temporaire tend à augmenter, qu’il soit occasionnel ou planifié à l’année pour combler les périodes de congés. Le nombre de pharmaciens intérimaires en France atteignait 3 104 en 2022 selon l’Ordre des Pharmaciens, en hausse de 5,4% par rapport à 2021, après un bond de 9% entre 2020 et 2021. Loin d’être une simple rustine, le recrutement en pharmacie de pharmaciens remplaçants ou de préparateurs est désormais un « mode d’exercice à part entière », estime Marjorie Puthot. Ex-pharmacien titulaire, elle a co-fondé en 2012 la société 24/7 Services, spécialisée dans le recrutement de remplaçants en officine, en France métropolitaine et dans les DROM-COM. Interview.
Comment analysez-vous la difficulté actuelle des titulaires à recruter ?
Marjorie Puthot : La mise en place de nouvelles missions a exigé une réactivité énorme de la part des équipes officinales. Pendant la pandémie, elles ont été confrontées sans relâche à la maladie, à l’urgence des personnes à dépister et à soigner, sans savoir quand tout cela s’arrêterait. Au point parfois de se dire « plus jamais » ou « autrement » ! Cet état d’esprit perdure, d’autant que la sortie du tunnel n’est pas rose : les nouvelles missions restent, les dépenses aussi mais les marges diminuent.
Le turn-over a aussi augmenté, des personnes ont quitté le CDI qu’elles occupaient parfois depuis des années. En pharmacie comme dans les autres entreprises, de plus en plus de salariés ne se voient plus occuper un emploi plus de trois ans. Le rapport de force employeur-employé tend à s’inverser, en faveur des employés, plus demandés que jamais. Mais comment donner envie de travailler chez vous si vous êtes à bout ? Vous faire remplacer, ne serait-ce que quelques heures par semaine, peut vous permettre de prendre du recul et de mûrir un projet d’entreprise motivant.
Comment peut-on remplacer les multiples responsabilités assumées par un titulaire aujourd’hui ?
M.P. : C’est vrai, un titulaire exerce aujourd’hui six fonctions en plus de son rôle de professionnel de santé ! Il ou elle doit être bon logisticien, bon acheteur, bon manager, bon gestionnaire RH, bon merchandiser et enfin bon commerçant pour fidéliser sa patientèle. Justement, pour moi, un remplaçant est une personne capable de remplacer quelqu’un d’irremplaçable . C’est la raison pour laquelle nous avons créé 24/7 Services, pour trouver le ou les profils sur qui compter pour prendre le relais en votre absence. Notre équipe compte aujourd’hui 5 500 remplaçants, tous soigneusement recrutés.
Quels sont les profils-types de remplaçants en officine ?
M.P. : Il y a autant de femmes que d’hommes et toutes les classes d’âge sont représentées : trentenaires désireux de diversifier leur expérience officinale, quadras ou quinquas en quête de flexibilité, industriels qui reviennent vers l’officine, personnes en fin de carrière ayant de multiples compétences à proposer… Les remplaçants “historiques” sont les étudiants, les préparateurs, les pharmaciens jeunes diplômés en cours de rédaction de leur thèse d’exercice et les docteurs en pharmacie. Pour que la filière soit plus attractive et soulager les équipes officinales, il est important de diversifier ces profils. Nous proposons donc désormais aussi des rayonnistes (NdR : aussi appelés magasiniers ou merchandisers) ainsi que des préparateurs ayant une spécialisation en diététique-nutrition.
Les valeurs d’entreprise familiale sont encore très ancrées en officine, est-ce la cause de réticences à l’égard du travail temporaire ?
M.P. : Beaucoup de titulaires ont encore en tête l’idée qu’ils doivent être partout et tout le temps, mais ce n’est plus possible face à l’étendue des missions. S’autoriser des pauses est vital ! On ne peut pas prendre les bonnes décisions quand on a le nez dans le guidon en permanence.
Naturellement, accepter de se faire remplacer pour un titulaire qui a mis ses économies dans une officine, nécessite d’avoir confiance. D’où l’importance de recruter les bons remplaçants, que ce soit pour des remplacements brefs un samedi sur deux ou le temps d’une formation, ou bien pour des remplacements plus longs, lors de congés maternité par exemple.
La crainte d’avoir trop de personnes différentes au contact des patients peut aussi être un frein : c’est la raison pour laquelle certains clients nous demandent d’avoir toujours le même remplaçant, ce qui est tout à fait possible.
« Le remplacement répond à une demande de flexibilité qui est dans l’air du temps. C’est un mode d’exercice à part entière pour celles et ceux qui le choisissent. »
Marjorie Puthot
Il faudrait donc changer de regard sur le remplacement ?
M.P. : Le remplacement répond à une demande de flexibilité qui est dans l’air du temps. C’est un mode d’exercice à part entière pour celles et ceux qui le choisissent. Les remplaçants sont des personnes qui acceptent la mobilité et apprécient de rencontrer de nouvelles personnes, s’adaptent vite, sont à l’aise avec tous les logiciels de gestion d’officine, reçoivent des formations…
Les pharmaciens titulaires ne recherchent-ils pas plutôt la perle rare pour intégrer leur équipe à long terme ?
M.P. : Ce n’est pas incompatible avec le remplacement. Nous assistons parfois à des coups de foudre professionnels : un remplaçant peut se plaire énormément dans une officine et un titulaire trouver en lui ou elle la personne parfaite pour compléter son équipe. Par ailleurs, se faire remplacer quelques heures par semaine peut aussi aider les titulaires à se ressourcer et préparer leur futur recrutement en pharmacie. Ils seront d’autant mieux armés ensuite pour susciter l’envie de venir travailler dans leur officine !
Interview réalisé le 28 novembre 2023. Restez attentifs au Smart Mag’ pour plus d’articles à venir.
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