Les thérapies numériques : demain en pharmacie ?
Les thérapies numériques, ou « digital therapeutics » (DTx) intriguent à plus d’un titre. Venus des États-Unis à la conquête de l’Europe, Allemagne et France en tête, ces logiciels qui soignent ont ouvert en 20 ans un filon prometteur, mais restent un marché de niche, faute notamment de réglementation internationale standardisée. Vecteurs d’une prise en charge qui se veut plus autonome, plus personnalisée, plus efficace, ils sont encore mal compris et bousculent les habitudes de prise en charge. Leurs concepteurs semblent pourtant déterminés à leur trouver une place dans l’arsenal thérapeutique. Et pourquoi pas, un jour, à l’officine ?
Un jeu vidéo contre les troubles de l’attention, une thérapie digitale pour prévenir les crises de migraine, ou encore un coach numérique adjuvant au traitement de l’obésité… Ce ne sont pas les avatars d’une médecine de science-fiction mais des exemples de DTx. Cet acronyme aussi étrange que le prénom d’un enfant d’Elon Musk ne rend pas justice à ces médicaments numériques. Ceux-ci n’ont rien de pilules bardées d’électroniques mais désignent des logiciels de santé destinés à traiter ou soulager une maladie et dont l’impact thérapeutique a été démontré, comme le souligne la Digital Therapeutics Alliance, coalition d’acteurs de ce marché émergent. Les terrains de jeu préférés des thérapies numériques s’avèrent la santé mentale, la douleur, le sommeil, le traitement des addictions, la santé respiratoire ou encore la sphère cardiométabolique (diabète, obésité, maladies cardiovasculaires). Les laboratoires pharmaceutiques sont nombreux à s’y intéresser, dans le cadre de stratégies d’innovation dites « beyond-the-pill » – qui dépassent le seul traitement médicamenteux.
Depuis 2022, les traitements numériques ont même leur événement tricolore, nommé DTx France, (déclinaison du DTx Europe), dont la 4e édition, le 1er juillet 2025 à Paris, se rebaptisera DHx France pour Digital Health Experience, en signe d’ouverture au champ plus large des innovations en santé numérique. Est-ce le signe que les DTx se cherchent encore ?


Un paysage hétérogène
Nourris de science cognitive et comportementale, d’algorithmes, d’intelligence artificielle et de bien d’autres approches, les DTx souffrent encore d’un manque de définition et de règles harmonisées. Les Américains les rattachent aux logiciels dispositifs médicaux (Software as a Medical Device ou SaMD). En Europe, ils sont généralement considérés comme des dispositifs médicaux numériques, mais seuls quatre pays ont défini un cadre formel d’évaluation et de remboursement pour les intégrer au système de santé national : l’Allemagne, la Belgique, la France et le Royaume-Uni. D’autres leur emboîtent le pas, comme l’Estonie, la Finlande, les Pays-Bas et l’Espagne. Mais d’un pays à l’autre, les différences d’approche sont notoires et les études cliniques et médico-économiques peu facilement transposables, ce qui ne facilite pas la tâche des développeurs.
Sur environ 400 000 applications de santé mobile répertoriées dans le monde, seule une poignée peut se targuer d’appartenir au club (trop ?) fermé des DTx, sans doute pas plus de 250. Les analystes de marché entrevoient un immense potentiel, certains évaluant le marché mondial des thérapies numériques à plus de 30 milliards de dollars à l’horizon 2030, soit un triplement par rapport à 2025. Mais dans les travées de DTx France, les experts sont plus réservés, estimant ces chiffres surévalués.
Une cinquantaine approuvés outre-Rhin, plusieurs en France
L’Allemagne a pourtant ouvert la digue en 2019 avec une législation donnant le droit aux médecins de prescrire des DTx – « Digitale Gesundheitsanwendungen » ou DiGA dans la langue de Goethe. Résultat : cinq ans après, une cinquantaine de thérapies numériques sont approuvées et remboursées outre-Rhin, la moitié en santé mentale. Certaines applications comme Zanadio (obésité), Vivira (mal de dos) ou Kalmeda (acouphènes) dépassent aujourd’hui les 50 000 prescriptions. L’adoption dans un pays n’augure toutefois pas d’un succès européen. En témoignent les déboires français de la solution Deprexis, indiquée dans la dépression. Développée par la société allemande GAIA, approuvée et remboursée en Allemagne, testée chez plus de 2 800 personnes dans 12 essais cliniques, elle n’a pas pour autant obtenu son sésame en France, par manque de preuves d’efficience économique, semble-t-il. Les autorités françaises placent plus volontiers leur curseur d’intérêt sur les dispositifs numériques dédiés à la télésurveillance, avec le remboursement expérimental mis en place dès 2014 dans cinq maladies chroniques (programme ETAPES) puis le remboursement en droit commun de la télésurveillance médicale à compter de juillet 2023.

La même année 2023, toujours dans l’Hexagone le dispositif de prise en charge anticipée numérique PECAN voit le jour, censée faciliter l’accès précoce au marché des dispositifs médicaux numériques, DTx compris, mais qui exige tout de même un dossier de preuves cliniques en béton. Peu de solutions ont obtenu la PECAN à ce jour. Elles concernent la télésurveillance en oncologie (Cureety, Continuum+) et la rééducation (Axomove). En revanche, des solutions plus typiquement DTx ont été pour le moment recalées : HelloBetter Insomnie ou encore Ludocare dans le contrôle de l’asthme chez les enfants. Le robot-compagnon JOE de Ludocare se positionne pourtant sur le créneau de l’observance où les besoins d’amélioration sont importants, et convoque la “gamification” (aspect ludique). Soigner par le jeu ? Ce levier d’engagement est mobilisé avec succès par des solutions comme EndeavorRx, un jeu vidéo autorisé dès 2020 par les autorités sanitaires américaines, comme traitement adjuvant sur ordonnance pour les enfants souffrant du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).
Les essayer, c’est les adopter

Au-delà des barrières réglementaires, les DTx ont une place à trouver dans les mœurs, tant des patients que des professionnels de santé. Or, moyennant des campagnes de sensibilisation conséquentes, le pari est plutôt gagné en Allemagne, où après un démarrage timide, plus de la moitié des médecins généralistes ont déjà prescrit des thérapies numériques.
En France, où beaucoup de professionnels de santé n’ont pas ou peu entendu parler des DTx, l’utilité perçue de ces outils est importante. Selon une enquête en ligne menée par France Biotech en 2023 auprès de 662 professionnels de santé (médecins, infirmiers et pharmaciens), 86 % d’entre eux estiment que ces solutions sont pertinentes pour améliorer l’observance thérapeutique et 72% pour améliorer la qualité de vie. Et si la voie d’une adoption plus large passait par l’officine ?
Le pharmacien, un futur conseiller en DTx ?
Bien que relativement peu acculturés aux thérapies numériques aujourd’hui, les pharmaciens d’officine ont toute légitimité à s’investir sur le sujet. Par leur expertise en matière de traitement, de bon usage, et par le lien de confiance établi avec leurs patients, les pharmaciens ont une carte à jouer dans les soins numériques en général et l’essor des DTx en particulier. Moyennant le développement d’une offre de thérapies numériques agréées et bien référencées, le conseil officinal pourrait avoir une contribution décisive, qu’il s’agisse d’éduquer les patients à ces nouvelles thérapies, voire de les dispenser – en étant chargé de délivrer aux patients le code d’accès au programme de soins numérique, par exemple.
Il y a fort à parier que les DTx s’inscriront, naturellement, dans la révolution numérique déjà bien engagée à l’officine. S’intéresser dès à présent à ces thérapies d’avenir, c’est plonger dans un monde passionnant, foisonnant d’opportunités, ouvert aux esprits curieux et enclins à explorer ce qui peut enrichir leurs pratiques officinales.
Pour aller plus loin :
• https://www.efpia.eu/media/677347/improving-access-to-digital-therapeutics-in-europe.pdf
• https://techtomed.com/essor-des-therapies-digitales-ou-dtx/