Médicaments biosimilaires : chronique d’une percée attendue
Un quart de siècle après la substitution des génériques, celle des biosimilaires s’apprête à décoller, mais avec quelques retards à l’allumage. Source d’économies pour le système de santé et de revenus pour l’officine, plébiscité par 76% des pharmaciens, l’élargissement de la substitution biosimilaire est désormais encadré par la loi. « Une grande avancée » selon Laurent Filoche, président de l’Union des Groupements de Pharmaciens d’Officine (UDGPO), même si la mise en œuvre ne sera pas aussi automatique que pour les génériques. Décryptage.
Depuis 2006, plus de 100 médicaments biosimilaires ont été autorisés en Europe. Médicaments issus du vivant et dont le brevet a expiré, ces biothérapies sont dites « similaires » au médicament de référence et non identiques, du fait des différences de procédés de fabrication. C’est ce qui les distingue des génériques. Les biosimilaires, en moyenne 15 à 30% moins chers que les produits de référence, génèrent des économies pour les systèmes de santé, ce qui explique leur diffusion mondiale en progression constante. Ce marché reste pourtant largement « sous-exploité » en France, estime l’économiste de la santé Frédéric Bizard, avec une pénétration importante à l’hôpital mais encore faible en ville : de l’ordre de 32%, contre 84% pour les génériques, dont la substitution est autorisée depuis 1999.
Le répertoire des molécules « interchangeables » par le médecin reste en effet restreint, et plus encore celui des molécules « substituables » par le pharmacien d’officine, au nombre de deux actuellement : le filgrastim et le pegfilgrastim, des facteurs de croissance indiqués pour la réduction des neutropénies chez les patients sous chimiothérapies. Leur substitution a été autorisée depuis avril 2022, au terme d’une longue attente, la substitution biosimilaire étant évoquée dès le PLFSS 2014… Le choix même de ces deux molécules posait question à la profession, leur taux de pénétration étant déjà élevé. Depuis ce coup d’envoi a minima, la montée en puissance de la substitution n’a pas été flagrante…
Une automatisation de principe mais des freins aux biosimilaires
L’année 2024 devrait permettre de sortir de cette stagnation. Le Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 prévoit en effet (article 54) que le pharmacien pourra « substituer un médicament biologique de référence prescrit par un médecin par son biosimilaire, deux ans après la commercialisation du premier biosimilaire du même groupe ». Cette inscription au répertoire de substitution ne sera cependant effective qu’après avis de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), lequel avis s’appuiera sur la consultation des associations de patients concernées et des professionnels de santé.
« L’automatisation de l’inscription des biosimilaires sur la liste des produits substituables par le pharmacien représente une grande avancée », salue Laurent Filoche, président de l’UDGPO et du groupement Pharmacorp. Il regrette cependant les « limitations » associées à cette mesure car « l’ANSM aura jusqu’à fin 2024 pour publier la liste des biosimilaires substituables par le pharmacien et pourra émettre certaines réserves ». Sans doute faut-il voir dans ces garde-fous un pas en direction d’associations de patients qui ont exprimé leur opposition à la substitution des biomédicaments à l’officine, invoquant des motifs de sécurité et craignant que les différences entre les dispositifs d’injection ne génèrent des difficultés d’utilisation.
Les pharmaciens, des « facilitateurs »
En dépit de ces réserves, les autorités de santé semblent déterminées à améliorer le taux de pénétration des biosimilaires en ville, au point d’en faire l’un des enjeux de l’avenant économique en cours de négociation entre l’Assurance Maladie et les syndicats de pharmaciens. Faute de développer le marché des biosimilaires et des génériques, le système de santé en France ne sera « pas soutenable » alerte Frédéric Bizard, soulignant que « la fiabilité de ces produits est parfaitement démontrée ». La compétence du pharmacien pour substituer ne peut faire aucun doute, tient pour sa part à rappeler Laurent Filoche : « Le professionnel du médicament en France, c’est le pharmacien. Connaître les médicaments, les conseiller à nos patients, expliquer leur fonctionnement et leur mode d’administration, c’est notre cœur de métier ». De plus, « tous les groupements ont des organismes de formation qui accompagnent leurs adhérents dans la dispensation des biosimilaires », ajoute-t-il. Pour lui les pharmaciens ont vocation à être des « facilitateurs » de la pénétration des biosimilaires en ville, au bénéfice des comptes publics : une étude commandée par le laboratoire Sandoz estime que les biosimilaires pourraient permettre à l’Assurance Maladie d’économiser 7 milliards d’euros d’ici 2027.
Laurent Filoche évoque un contrat « gagnant-gagnant » entre l’État et les pharmaciens. « Traiter le marché des biosimilaires comme celui des génériques apporte une bouffée d’air très importante à nos officines, tout en faisant économiser à la Sécurité sociale 30% du prix de médicaments innovants et chers ». Il rappelle qu’actuellement « les médicaments génériques représentent 30% du résultat net d’une officine » mais la pression sur les prix érode ces revenus. « Si l’économie du générique s’effondre, l’économie des officines s’effondre aussi. » Compenser l’érosion des revenus officinaux liés aux génériques par le développement des biosimilaires soutiendrait donc l’économie officinale tout en rendant soutenable pour l’État le coût des biothérapies. CQFD.
Prévenir les pénuries et écrire l’histoire des biosimilaires
L’argument financier n’est pas le seul en faveur de l’essor des biosimilaires. L’existence de plusieurs fournisseurs pour une même molécule permet également de « diversifier les sources d’approvisionnement ». Une garantie précieuse contre les ruptures d’approvisionnement, à l’image de celles qui ont touché les insulines ces derniers mois, des biomédicaments vitaux pour les patients et qui ont heureusement pu être substitués par leurs biosimilaires.
La France osera-t-elle « écrire l’histoire » des biosimilaires comme l’espère Laurent Filoche ? Car si leur taux de consommation est plus élevé notamment dans les pays-anglo-saxons que chez nous, la substitution des biosimilaires par le pharmacien reste généralement peu appliquée à l’étranger. Les modalités d’achat de médicaments (appels d’offre ou autres), d’incitation à la prescription de biosimilaires et d’encadrement de leur substitution diffèrent selon les systèmes de santé, rendant les comparaisons difficiles. Laurent Filoche conclut : « N’ayons pas peur d’être pionniers ».