Peut-on encore parler de « nouvelles » missions des pharmaciens ?
Historiquement lieu de dispensation et de préparation des médicaments, l’officine s’affirme de plus en plus comme un « hub » de santé. Divers actes de soins s’y pratiquent, des patients y sont accompagnés tout au long de leur parcours. Le pharmacien vaccine, dépiste, dans certains cas prescrit… Est-il toujours pertinent de parler de « nouvelles » missions des pharmaciens ? Ou faut-il différencier les missions qui ont bien pris racine de celles qui restent émergentes, tout en gardant un œil sur de futurs élargissements possibles ?
Les « nouvelles missions » facilitent l’accès aux soins en donnant au pharmacien et à son équipe un rôle actif dans la prévention, le suivi, et la prise en charge de certaines maladies, résume l’Assurance Maladie. Toute mission qui va au-delà de la seule dispensation de médicaments ou autres produits de santé peut donc prétendre appartenir à ce groupe. L’ancienneté relative de certaines missions, comme les entretiens pharmaceutiques, dont la genèse remonte à la loi HPST de 2009, rend-elle le terme « nouvelles » obsolète ? Le débat est ouvert. Osons dire que le terme « nouvelles » essaie de transcrire une dynamique plutôt qu’une réalité statique. Cette dynamique d’évolution constante vise à répondre tant aux besoins aigus (crises sanitaires notamment) que chroniques d’une population de plus en plus nombreuse et vieillissante, pour laquelle l’accès aux soins de proximité est un enjeu de taille.
Ce changement de paradigme de l’activité officinale, vivement encouragé par les pouvoirs publics, a un coût pour les officinaux : temps passé, formation, aménagement des locaux… Autant de facteurs qui peuvent expliquer une transformation à plusieurs vitesses. Ainsi, en septembre 2023, une enquête menée par Le Quotidien du pharmacien et Cal Medi Call révélait qu’un quart des pharmaciens n’effectue pas de nouvelles missions. Manque de temps, de personnel et de place étaient les principaux freins évoqués, sans compter une rémunération souvent jugée trop faible. Et rares sont les pharmaciens à mettre en place l’ensemble des missions possibles. Des arbitrages s’imposent souvent selon les priorités identifiées et les moyens dont ils disposent, la mise en œuvre des missions s’appuyant alors sur les facilitateurs que constituent la formation, le numérique ou encore l’exercice coordonné (voir notre article du 7 septembre 2023).
De l’exception au droit commun : une accélération récente
Indéniablement, la participation très active des pharmaciens à la vaccination et au dépistage pendant la pandémie de COVID-19 a joué un rôle d’accélérateur. « Dans le sillage d’une époque où les défis sanitaires ont dicté de nouvelles règles, les pharmacies se sont métamorphosées et se sont investies dans des missions inédites. Cette période a révélé la propension des pharmacies à se réinventer, à proposer des horizons novateurs, redessinant ainsi un nouvel opus dans le paysage de la santé », analysait David Syr, Directeur Exécutif de Cegedim Pharma, début 2024 sur LinkedIn.
La crise sanitaire a démontré à toute la population les capacités d’adaptation des pharmaciens et leur profondeur d’expertise, au-delà de la dispensation. Cette preuve en vie réelle était scellée par la signature le 9 mars 2022 d’une convention pharmaceutique faisant la part belle aux « nouvelles missions » : création d’un entretien court pour la femme enceinte, élargissement des compétences vaccinales, dépistage des infections urinaires, remise du kit de dépistage du cancer colorectal, dispensation à domicile…
Plus récemment l’avenant économique signé le 10 juin 2024 avec l’Assurance Maladie prévoit de revaloriser certaines de ces missions. Le tarif des TROD angine et cystite passe dès 2024 à 10 euros (au lieu de 6 ou 7 euros selon les cas) et 15 euros si un test positif entraîne la délivrance d’un antibiotique. En 2027, le cumul des honoraires pour la prescription et l’administration d’un vaccin atteindra 15 euros contre 9,60 euros aujourd’hui. Les bilans partagés de médication (BPM) bénéficieront également d’un coup de pouce.
Entretiens pharmaceutiques : des pionniers encore à la peine
L’avenant rend aussi plus incitative la facturation des BPM et des accompagnements destinés au suivi des patients sous anticoagulants oraux, des patients asthmatiques sous corticoïdes inhalés et des patients sous anticancéreux oraux. En effet, il sera désormais possible de facturer chaque entretien à l’acte, au lieu d’attendre l’issue des trois entretiens annuels pour percevoir la rémunération de 50 à 80 euros. En outre, la convention signée le 4 juin 2024 par les médecins avec l’Assurance Maladie introduit pour début 2026 une consultation longue de déprescription destinée aux patients âgés hyperpolymédiqués ayant réalisé un BPM.
Ces mesures suffiront-elles à faire décoller bilans et entretiens, encore très en retrait ? « Seulement » 45 000 entretiens pharmaceutiques ont été réalisés en 2023 (un peu plus de deux par officine) selon les données de l’Assurance Maladie révélées par Le Moniteur des Pharmacies et 24 000 de janvier à mai 2024, la moitié étant des BPM. Les données de GERS Data arrêtées au 18 mai 2024, indiquent que seules 6% des pharmacies avaient réalisé au moins un accompagnement pharmaceutique depuis le début de l’année. Qu’est-ce qui coince ? Probablement le format lui-même, imposant au pharmacien de quitter le comptoir pour accueillir, au moins une trentaine de minutes, un patient en espace de confidentialité. Mais les chiffres ne sont guère meilleurs pour l’entretien court dédié à la femme enceinte (facturé 5 euros), pourtant effectué au comptoir, avec environ 30 000 réalisations sur 2023 et 16% des officines en ayant effectué au moins un de janvier à mi-mai 2024. À noter : l’avenant a donné naissance à un nouvel entretien court (5 euros également) ne requérant pas de formation spécifique, pour l’accompagnement des patients sous traitement opioïde de palier II.
Ces mesures suffiront-elles à faire décoller bilans et entretiens, encore très en retrait ? « Seulement » 45 000 entretiens pharmaceutiques ont été réalisés en 2023 (un peu plus de deux par officine) selon les données de l’Assurance Maladie révélées par Le Moniteur des Pharmacies et 24 000 de janvier à mai 2024. Les données de GERS Data arrêtées au 18 mai 2024, indiquent que seules 6% des pharmacies avaient réalisé au moins un accompagnement pharmaceutique depuis le début de l’année. Qu’est-ce qui coince ? Probablement le format lui-même, imposant au pharmacien de quitter le comptoir pour accueillir, au moins une trentaine de minutes, un patient en espace de confidentialité.
Les chiffres ne sont guère meilleurs pour l’entretien court dédié à la femme enceinte (facturé 5 euros), pourtant effectué au comptoir, avec environ 30 000 réalisations sur 2023 et 16% des officines en ayant effectué au moins un de janvier à mi-mai 2024. À noter : l’avenant a donné naissance à un nouvel entretien court (5 euros également) ne requérant pas de formation spécifique, pour l’accompagnement des patients sous traitement opioïde de palier II.
« Mon Bilan Prévention » (facturé 30€ pour 30 à 45 minutes) a quant à lui été officiellement lancé en juin 2024. Pour les pharmaciens, cet entretien est susceptible de déboucher sur un acte tel qu’un rappel de vaccination par exemple. Un argument loin d’être anodin car la vaccination s’impose comme une véritable locomotive pour les missions de santé publique à l’officine.
Vaccination, dépistage : des missions bien intégrées
Depuis la première participation des pharmaciens d’officine à la vaccination antigrippale en 2019, le succès de cette mission ne s’est pas démenti : 60% des officines ont vacciné contre la grippe en 2023 (contre 51% en 2022). La participation exemplaire des officinaux à la vaccination contre la COVID-19 n’est pas étrangère à l’extension des compétences qui a suivi. Les pharmaciens peuvent désormais prescrire et administrer aux adultes et enfants de plus de 11 ans l’ensemble des vaccins mentionnés dans le calendrier des vaccinations (diphtérie, tétanos, poliomyélite, coqueluche, grippe, papillomavirus humains, rougeole, oreillons, rubéole, etc.) – hormis la prescription de vaccins vivants chez des personnes immunodéprimées. En 2023, presque 5,8 millions de vaccins antigrippaux ont été administrés en officine selon l’Assurance Maladie, et plus de 1,1 millions d’injections pour les rappels. De janvier à mai 2024, 90% des officines avaient effectué des rappels de vaccination adulte selon GERS Data et plus de la moitié (51%) avaient déjà prescrit et administré un vaccin.
Autre mission qui décolle franchement : la remise du kit de dépistage du cancer colorectal, pratiquée par 9 pharmacies sur 10. Cette part tombe à 60% pour le dépistage rapide des angines et 7% pour le TROD cystite. Mais ces chiffres devraient augmenter, car depuis le 19 juin 2024, tous les pharmaciens formés sont officiellement autorisés à prendre en charge les maux de gorge et les infections urinaires, depuis le dépistage jusqu’à la dispensation d’antibiotiques sans ordonnance en cas d’infection bactérienne avérée. Cette prise en charge de premier recours n’est donc plus conditionnée à la participation à un exercice coordonné. Les pharmaciens deviennent prescripteurs de plein droit dans des situations bien définies. Une révolution. Le numérique joue le rôle de facilitateur puisque les modèles d’ordonnance pharmaceutique et de compte rendu de dépistage pourront être intégrés aux logiciels métiers.
Quid enfin de la téléconsultation assistée en officine ? Le nombre d’actes atteignait 840 000 en 2023 selon la Cnam. Ce chiffre monte à 500 000 entre janvier et mai 2024, un quart des officines (24%) ayant effectué au moins une téléconsultation sur cette période d’après GERS Data.
Nouvelles missions du pharmacien : les 3 principaux facilitateurs
Marilyn Fillet, Responsable Régionale chez Mutualpharm et fortement engagée dans le déploiement des nouvelles missions, nous donne sa vision.
Stop ou encore ?
L’avenir de la profession passe par l’élargissement des nouvelles missions, afin d’attirer les jeunes recrues, suggère l’Ordre des Pharmaciens. Cependant, le retour sur investissement constituera un facteur clé de consolidation pour les missions existantes et à venir. Comme le fait ressortir une enquête GERS Data pour l’UNPF, la rémunération est pour 77% des pharmaciens un critère clé pour s’investir dans les nouvelles missions.
Moyennant l’intérêt intrinsèque, les tarifs et le temps officinal disponible, d’autres missions pourraient se développer dans un avenir proche, dont la prescription de substituts nicotiniques par le pharmacien, qui doit faire l’objet d’une expérimentation à partir de 2024. Mais l’idée, déjà inscrite dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 ainsi que dans le Programme national de lutte contre le tabac 2023-2027, peine à s’embraser. D’autres missions attendent toujours leurs textes d’application : préparation des doses à administrer (PDA), extension à trois mois (au lieu d’un) du renouvellement exceptionnel des ordonnances de traitements chroniques expirées… Des acteurs de la profession comme l’association Pharma Système Qualité (PHSQ) espèrent enfin, dans la foulée de l’angine et de la cystite, un cadre pérenne pour la prise en charge officinale d’autres petites urgences telles que les plaies simples et les piqûres de tiques.
Assurément, chaque année qui passe conforte un peu plus le pharmacien d’officine dans les aspects cliniciens de son activité, avec des interactions plus fortes et plus diversifiées avec les patients. Logiquement, les missions les plus promptes à trouver leur rythme de croisière sont souvent les plus lisibles (sur les plans financier et administratif) et concrètes, par exemple intégrant un geste de soins ou une dispensation. Mais nul doute que les missions plus complexes d’accompagnement et de prévention sauront aussi gagner en maturité et trouver leur équilibre, au gré d’ajustements conciliant les contraintes de l’exercice officinal et les besoins prioritaires des patients selon les territoires.